Autour du Festival Avignon OFF, juillet 2023

aleteia.org, 13 juillet 2023

Classique en Provence
, mi-juillet 2023

RCF Vaucluse, 20 juillet 2023, à partir de la 54e minute

La Nef, 20 juin 2023

Je verrai le ciel ouvert, une pièce sur le martyr Étienne


Ambroise Tournyol du ClosRevue Limite24 Déc 2021 

 
"Quand j’aurai vu le ciel s’ouvrir à la fin du spectacle l’instant d’après, (…) La violence aura éteint quelques étoiles, la nuit se sera assombrie, et il nous faudra avancer à tâtons,"

Aujourd’hui, comme il y a deux mille ans, à Jérusalem, le martyre d’Étienne se prolonge dans chaque eucharistie, et en toute vie qui s’en nourrit, et la nuit retombe sur nous qui avons entrevu un bout de ciel, et qui poursuivons notre marche vaille que vaille, à tâtons. Juliane Stern aurait pu user son énergie dans la reconstitution d’un récit pittoresque. Sur une scène simple et sobre, elle a choisi plutôt de confier à la parole poétique le pouvoir d’évoquer une époque, un homme dont on sait si peu de choses, les tâtonnements d’une âme. Sans rien omettre des sons et des odeurs des collines plantées de térébinthe, de la présence romaine, des coutumes juives ou de l’accent galiléen, Juliane Stern nous dévoile le mystère d’une âme, qui pourrait être encore la nôtre et interroge notre rapport à l’Incarnation et à la Rédemption. 

Dans un décor d’une grande sobriété, où des panneaux de feutre gris composent l’esplanade du Temple, un seul acteur tient tour à tour tous les rôles. Identifié au Maître, aux côtés duquel il trône désormais par son martyre, il est capable de se mettre à la place de chacun et d’envisager le combat spirituel sous tous ses angles. Il est Étienne bien sûr, celui d’avant, jeune et facétieux, puis, d’une scène à l’autre, celui d’après, grave et sentencieux. Mais il partage aussi la posture courbée et malicieuse d’un vieil Amos inventé par l’auteure, la sagesse de Gamaliel, la gestuelle empêchée du Simple, la méchanceté aveugle de la foule, la superbe de Paul, le cynisme du sanhédrin, l’impassibilité de Pierre, l’autorité du Christ, l’interrogation inquiète des spectateurs. Tous sont réunis en un seul acteur et en un seul acte parce que l’humanité traverse un seul et même drame : comment retrouver l’image de Dieu, que "le vent a froissé" ? 

Cette unité n’altère d’ailleurs en rien le sens chrétien de la personne. Chacun est unique, mais c’est dans la mesure même où il se laisse connaître par le berger, qu’il trouve son visage propre. Étienne fait subir à Paul l’énumération poétique des cent moutons, du bélier fou à la brebis galeuse, en passant par celle qui "compte les moutons pour s’endormir". Il y trouve une autorité nouvelle : "Écoute encore !", lance-t-il à celui qui semble tout savoir. Et ce dénombrement qui conduit à la dernière brebis « infidèle et ingrate et mauvaise » le bouleverse et le place sur le chemin de la conversion. Sur la ligne de crête entre l’Ancien et le Nouveau Testament, Étienne passe de la nostalgie du paradis perdu à la promesse exigeante du salut qui passe pour tous par l’expérience de la miséricorde :  

"exténué il se penche, de toute sa hauteur descend, s’agenouille, se répand sur le sol comme un pauvre, se râpe le visage contre la terre, tend les bras, ouvre les mains et la soulève. 

Toutes les autres, une par une, oui, mais pas celle-là ! 

Toutes les autres, mais celle-là, non. 

Qui est-il pour me demander ça ?" 

Les atermoiements d’Étienne ont leur propre musique. Le violoniste, qui passe d’un bord à l’autre de la scène, enrichit ce dialogue intérieur des suites de Bach et des sonates d’Ysaÿe. Leurs notes traduisent la respiration d’une âme qui connaît comme nous tous la joie, l’espérance et la crainte. La vie chrétienne est un bricolage précaire, habité par la grâce, comme ces tabourets gris-verts, couleur du doute et de l’espérance, qui s’empilent et se réajustent sans cesse pour composer une charrette, la croix du Christ, mais aussi un habile et légitime refuge pour l’acteur, dont la performance verbale est une fidèle image de notre existence surchargée et complexe. 

La pièce se nourrit aussi d’un souffle poétique fécond qui, au creux des assonances, des métaphores et des synesthésies, indique combien l’espérance est incarnée, combien le monde est chargé de sens dans ses détails les plus concrets, combien le ciel est donné ici-bas à qui veut bien le voir et le contempler,  "car ce qui n’a ni commencement ni fin n’en finit pas de s’ouvrir impatiemment."

La conversion d’Étienne et celle du spectateur – car le théâtre est toujours, quand il est pris au sérieux, affaire de conversion – naît dans la relation à l’autre. C’est la passion du Simple, traîné et humilié à travers les rues de Jérusalem, et la contemplation de ses stigmates ("la paume transpercée par le fer") qui ouvrent le cœur d’Étienne. La rencontre du Messie fait le reste qui tient son autorité de son geste contre les marchands du Temple, de sa Parole ("Détruisez ce temple") et enfin de son anéantissement : "Ils lui ont donné la place du Simple sur le trône. Dans ce corps avachi. Sous ce visage tuméfié. Crépi de crachat. Couronné d’épines. Étienne reconnaît Jésus." Le martyre, qui fait d’Étienne un nouveau Christ, achève ce passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance, du Temple de pierre, interdit à tous, au Temple de chair, avec "son corps entrebâillé" où chacun peut entrer. Le ciel s’ouvre, non plus à la manière païenne du templum, carré d’augure impersonnel censé nous garantir contre un avenir incertain, mais sur la présence d’un Visage qui s’offre et qui, dans l’écroulement d’Étienne, fait "taire la fin de tout". Nous savons que cette chute n’est que le commencement de l’éternité. Puisque le Verbe s’est fait chair, la chair sauvée, n’est-elle pas appelée à retrouver le Verbe ? 

14 mai 2022, Cathédrale St Etienne, Bourges

Saint Étienne, un cœur simple

Isabelle Demangeat — magazine Paris Notre-Dame — 24 novembre 2022

Commandée par le diocèse de Saint-Étienne pour son jubilé en 2021, la pièce Je verrai le Ciel ouvert est donnée à Paris jusqu’au 27 novembre. Elle raconte, dans une langue poétique et romanesque, l’histoire du premier martyr chrétien : saint Étienne. Une vraie, et très jolie, prouesse d’écriture et de jeu.

Bien rangées, côte à côte, l’une contre l’autre, des sandales en cuir noir, attendent, côté jardin, brides à moitié ouvertes. Elles attendent que les spectateurs prennent place face à elles. Mais surtout que son propriétaire les enfile. Justement, il arrive, pieds nus, cheveux noirs ondulant autour de son visage sérieux et grave. Mais il met du temps à les enfiler. Le personnage tient à prévenir son auditoire. "Dans quelques instants [il] verra le Ciel ouvert" (Ac 7, 56). Dans quelques instants, les Cieux s’ouvriront. "Seront-ils plus beaux que les Cieux fermés ?" Par un procédé de mise en abyme, le ton est donné : la mort, qui sera ici jouée, le sera dans un mouvement poétique et lyrique. Elle le sera pour donner à voir la vie intérieure qui a habité celui qui sera mis à mort. Après avoir enfilé ses sandales, il apparaît alors, "l’âme emportée, le front curieux" : saint Étienne.

Un mélange entre fiction et réalité

Monter un spectacle sur le premier martyr était une vraie gageure. Pas de biographie, peu de références, même au sein des Évangiles, si ce n’est ses propos lors de sa lapidation et l’un de ses discours. Et pourtant, c’était une demande de Mgr Sylvain Bataille, évêque de St-Étienne (Loire). Pour les 50 ans de son diocèse fêtés en mai 2021, il souhaitait qu’un spectacle vivant retrace la vie, en l’actualisant, du patron de son diocèse. Juliane Stern, auteur dramatique et professeur de théâtre au lycée, en Rhône-Alpes, a relevé le défi. Et a choisi, selon ses propres mots, de donner une place aux "blancs laissés entre les lignes où le réel prend du relief". Ainsi, saint Étienne devient cet enfant qui, à 7 ans, assiste à la lapidation d’un "simple" aux "doigts courts" ; il devient un oiseleur qui use ses armes aux côtés d’un vieux sage, Amos. Il est aussi ce juif hellénisé biberonné à l’enseignement du rabbin Gamaliel qui se laissera toucher quelques années plus tard par les paraboles d’un fameux Galiléen... 
 Ce mélange entre fiction et réalité fonctionne très bien. Le texte, ciselé, empli d’allitérations et de métaphores, oscille entre poésie, traits d’esprit et narration, et donne une matière linguistique riche et évocatrice. Cette finesse, sur la langue, se retrouve de la même manière sur scène. Le comédien Cédric Danielo, revêt tour à tour et avec grand talent, les personnages qu’il interprète : Amos, Étienne ou encore le "simple" … Accompagné par le violoniste Mathieu Schmaltz, dans une mise en scène sobre et très juste, il donne à voir l’élan, pur et entier, qui conduit saint Étienne à interroger son monde et à suivre le Christ. Sans effets de manche, ni envie de convaincre. Saint Étienne est avant tout un cœur pur, un cœur simple. Il meurt, pieds nus. Ses sandales, bien rangées, sur le côté.




Saint Étienne, seul contre tous

Anne-Françoise de Taillandier — magazine Famille chrétienne — 23-29 avril 2022

"Je vois les Cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu" (Ac 7, 56),
s’exclame saint Étienne au moment de mourir. Ce verset des Actes des Apôtres a inspiré le titre de la nouvelle pièce de Juliane Stern-Lamoril, Je verrai le Ciel ouvert, jouée à la basilique Notre-Dame de Fourvière, à Lyon, début avril et programmée le 14 mai à la cathédrale de Bourges.
Dans cette œuvre contemporaine inédite, l’auteur et metteur en scène tisse entre les lignes de la Parole pour donner chair au personnage de saint Étienne dont nous connaissons peu
de chose. Seuls deux chapitres des Actes en effet, dont un long discours, nous révèlent la figure du premier diacre de l’Église, désigné comme tel par la première communauté chrétienne. Nous savons qu’il était un jeune juif, d’origine grecque, qu’il a rencontré le Christ et qu’il est mort lapidé en 36 après avoir comparu devant le Sanhédrin, devenant ainsi le premier martyr de la chrétienté.

LE PARI DE LA CRÉATION CONTEMPORAINE

Juliane Stern-Lamoril a écrit cette pièce à la demande du diocèse de Saint-Étienne à l’occasion du jubilé de sa création en 2021. Une proposition qu’elle a accueillie avec  enthousiasme : "Le sujet m’a tout de suite plu. C’était une invitation à plonger dans les textes bibliques et la Jérusalem des premiers siècles qui me passionnent."
Après Le monde est en feu sur la figure d’Édith Stein en 2013, Je verrai le Ciel ouvert
est sa deuxième pièce de théâtre à caractère spirituel. Elle est reconnaissante envers Mgr Sylvain Bataille, évêque de Saint-Étienne, qui a fait appel à plusieurs artistes pour fêter les 50 ans de son diocèse en 2021. "L’Église prend rarement le pari de la création contemporaine pour parler de l’Évangile alors qu’il est une source précieuse pour les artistes et le monde culturel qui ont une soif immense de spirituel." Le texte de Juliane Stern-Lamoril ne cherche cependant pas à vulgariser le récit biblique. "Il ne s’agit pas d’un cours de catéchisme", prévient-elle. Très poétique, il mêle théâtre et narration romanesque. Avec une part de fiction, il invite à replonger dans l’Ancien et le Nouveau Testament auquel il fait abondement référence. "À quoi sert-elle, la Parole, si elle ne vient pas frapper mon tympan d’un éclat nouveau ?", demande Étienne sous la plume de l’auteur. Dans la pièce, on découvre d’abord le jeune Étienne en oiseleur qui laisse s’échapper les colombes et les tourterelles, signe de sa liberté intérieure et référence au psaume qu’il connaît bien : "Notre âme comme un oiseau s’est échappée du filet de l’oiseleur" (Ps 124, 7). Juliane Stern-Lamoril joue avec les mots : "Étienne ou Stéphane, en grec stephanos, c’est la couronne, qui a la même étymologie que le mot corneille."

LA FORCE DE LA FOI DANS L’ÉPREUVE

On rencontre ensuite Étienne en compagnie de son ami Paul, à qui il proclame la tirade des cent brebis connues chacune personnellement de leur bon berger. Tous deux juifs à l’école du rabbin Gamaliel, l’un se moque de la Parole reçue de la bouche du Christ, l’autre se laisse toucher par celle-ci et en mourra sous les yeux de son ami. Face à ses juges qui l’accusent de blasphèmes, Étienne se remémore cette enfance à Jérusalem et sa vie bouleversée par ses rencontres successives avec le Christ. Les scènes alternent donc savamment entre présent et passé, exigeant du spectateur une attention soutenue. Ce texte dense est admirablement porté et accompagné de pauses musicales au violon qui donnent du souffle à l’ensemble . La mise en scène sobre et épurée le met bien en valeur. Des panneaux gris et rouge, la couleur du martyre et du diaconat, et un jeu de six tabourets, transformés tour à tour en pilori ou en panier, constituent l’unique décor. Ils attirent le regard du spectateur vers le haut et marquent un espace dédié au sein des églises où la pièce est appelée à être présentée. "Étienne a su débarrasser la Parole du carcan d’interprétation où elle se trouvait pour l’entendre à nouveau, à la lumière des événements de son époque – en l’occurrence la venue de cet homme, Jésus, au milieu des siens, explique l’auteur. Avec lui, je me suis demandé si j’étais capable d’une telle mise à jour : quand le Christ vient à ma rencontre, est-ce que je sais Le reconnaître ?" Cette question, Étienne la pose aux spectateurs, aux croyants d’aujourd’hui et à tous nos contemporains. Seul contre tous avec ses convictions, il incarne la force de la foi dans l’épreuve, que la pièce traduit par la forme d’un monologue du comédien Cédric Daniélo qui incarne tour à tour tous les personnages, et le ton assez grave de certaines scènes. Cédric Daniélo, non croyant, s’est aussi laissé rejoindre par l’actualité du message d’Étienne. "Au-delà du fait qu’il soit un saint catholique, ce que je défends c’est surtout un petit gars qui écoute ce qu’on lui rabâche pendant des années d’une manière nouvelle, qui voudrait transmettre ses découvertes, mais n’y parvient pas et en meurt", souligne le jeune homme. Croyants ou non, les spectateurs se laissent également toucher. Le Père Yves Guerpillon, recteur de la basilique Notre-Dame de Fourvière, a été particulièrement sensible à la scène représentant le dialogue entre Étienne et Paul. Marie-Claude, non croyante mais habituée du Festival d’Avignon, a apprécié la performance artistique, tandis que Baptiste et Félix, en classe préparatoire littéraire, ont trouvé "l’écriture poétique et le jeu de mise en scène très original". L’auteur le dit bien : "Il ne s’agit pas d’un spectacle populaire qui vise le grand public, mais toute personne qui apprécie les mots, le jeu des acteurs et porte quelques questionnements spirituels appréciera de se demander avec Étienne, dans une espérance mêlée de crainte : “Le Ciel ouvert est-il aussi beau que le Ciel fermé ?”

Je verrai le ciel ouvert. 

Acte d’Étienne, martyr

Dominique Fonlupt — magazine La Vie — 20 avril 2023

Deux chapitres dans le récit des Actes des Apôtres : on sait bien peu de choses sur Étienne, malgré sa popularité dans la culture chrétienne depuis 2 000 ans. Juliane Stern, dramaturge et metteuse en scène, a répondu à la commande du diocèse de Saint-Étienne à l’occasion de
son jubilé : donner corps à ce jeune Juif, judéen de culture grecque, bouleversé par les paroles du Christ. Il meurt lapidé, accusé de blasphème par le sanhédrin. La compagnie du Théâtre pneumatique s’est montrée à la hauteur du défi en créant un spectacle dont la scénographie inventive est au service de l’épure. Des panneaux de feutre et six tabourets font évoluer l’espace sans jamais le figer. Cédric Daniélo incarne Étienne avec force, en oiseleur aux abords du Temple, dans le saisissement de l’inouï. Sur scène, un violon entre en résonance avec le texte en interprétant des sonates de Bach, de Bartok, d’Eugène Isaÿe et d’Ernest Bloch. Nous sommes loin, très loin de l’imagerie pieuse, tout près du mystère. La foi, comme un ciel ouvert.